240 EN MÉDITERRANÉE La chute de Famagouste eut dans l’Occident entier un retentissement prodigieux. Brantôme en oublia un moment les « honnestes dames » qu’il célébrait d’ordinaire, pour conter l’héroïsme de cette jeune fille de Chypre qui, en rade de Famagouste, fit sauter le grand galion de Mustapha pacha, avec les esclaves et les trésors qu’il portait. La gravure popularisa les épisodes de ce siège; les âmes sensibles s’attendrirent au récit que les témoins oculaires publièrent de la prise et des malheurs de Famagouste. Et puis l’oubli se fit. Moins de dix ans après la ruine de Chypre, le Père Étienne de Lusignan, dominicain et descendant de l’ancienne famille royale, essayait vainement d’éveiller quelques sympathies en faveur de sa glorieuse et bien-aimée patrie; vainement il peignait « les églises profanées, les autels détruits, les saintes reliques jetées aux chiens, et les images de notre Dieu et des saints brisées ». Ses appels demeurèrent inutiles : et tristement — véridiquement aussi -— il pouvait écrire : « Ce qui me poise le plus, c’est que tout ce mal est advenu pour la paresse et négligence ou envie des chrétiens. » III Aujourd’hui, quand le bateau mouille devant la rade déserte et ensablée de Famagouste, le premier aspect est étrange et séduisant tout ensemble. Derrière les massives murailles, intactes et fières comme autrefois, de hautes nefs gothiques, des tours d’église montent dans le ciel, qui semblent annoncer quelque grande et populeuse cité. Sans doute, sur la vaste lande jau-