258 EN MÉDITERRANÉE quand, par les chaudes heures d’été, le silence règne dans ses rues désertes, quand nul bruit importun, nulle choquante réalité moderne ne viennent altérer le charme des glorieuses visions du passé, le souvenir des héros morts se fait alors étrangement précis et intense, et l’on s’attend presque à voir, à l’appel des trompettes, les chevaliers de l’Hôpital sortir, comme jadis, de leurs palais armoriés et reprendre sur les remparts, sous les plis de la bannière de Saint-Jean, lo poste d’honneur et de combat qu’ils ont pendant tant d’années occupé sans faiblir contre les infidèles. Assis en face de la vieille porte d’Amboise, à l’heure où le soleil couchant dore de ses derniers rayons les fières murailles des chevaliers, je me laisse emporter à ces visions d’histoire, qu’évoque naturellement ce silencieux et solitaire paysage. Soudain, dans les casernes turques qui couronnent le rempart, une rauque clameur éclate, puissante, sauvage et triomphale; sur le bastion voisin un clairon sonne une lente et stridente fanfare; sous la sombre voûte de la porte d’Amboise, on entend un cliquetis d’armes et sous l’arcade déserte les sentinelles turques présentent les armes dans le vide à quelque chose d’invisible et de grand. Chaque soir, dans la citadelle de Rhodes, à l'heure où la nuit tombe, le même hommage symbo-lique est rendu au sultan lointain, chef de l’Islam, ombre de Dieu sur la terre : et dans cette ville jadis chrétienne, dont la croix blasonne encore les palais et les tours, sur ces remparts qu’illustra l’héroïsme des Aubusson et des l’Isle-Adam, il y a un accent particulièrement tragique dans ces farouches clameurs de victoire, qui, à tant de siècles de distance, semblent célé-