242 EN MÉDITERRANÉE 1571 *. Et c’est un spectacle poignant, l’un des plus saisissants que l’on puisse rêver, que ce cadavre de ville qui, de loin, sous le ciel bleu, sous la joyeuse lumière du soleil, semblait, en ce dimanche où je la vis, comme endormie dans le calme recueillement des offices, et qui de fait est morte et qui, à plus de trois siècles de distance, semble encore dans la stupeur de la plus épouvantable des catastrophes. Regardons maintenant d’un peu plus près les choses. Ce qui frappe tout d’abord, c'est le souvenir do Venise. Le lion de Saint-Marc a mis ici sa griffe, ce fier lion que l’on rencontre d’un bout à l’autre de la Méditerranée orientale, de Corfou à Nauplie, de la Dalmatie à la Crète. Au-dessus de la porte de mer, à l’entrée du château fort qui jadis commandait la passe étroite du port, de grands bas-reliefs de marbre le montrent dominateur et volontaire, sa forte patte solidement posée sur l’Évangile, comme pour une prise de possession éternelle. Ailleurs le voici encore, cette fois sous la forme d’une colossale statue de pierre, couché au pied des remparts que naguère il défendit : au vrai, ce n’est plus qu’un débris de lion ; les pattes de devant sont rompues et brisées; le corps, sous l’injure du temps et des hommes, est couvert d’éraflures qui semblent des blessures; seule la tête redressée garde une allure hautaine ; mais dans les grands yeux vides il y a quelque chose de profondément douloureux. Et, dans sa misère tragique, ce lion abandonné émeut singuliè- 1. Il faut ajouter que les debris des édifices jetés bas par le bombardement du m* siècle ont fourni des matériaux pour construire Larnaca, Port-Saïd et les fortifications d’Alexandrie. De plus, pour faciliter l’accès du port, on a ouvert récemment une large brèche dans les vieilles murailles.