VILLES MORTES D’ORIENT 249 des rois de Chypre, et son célèbre chancelier Philippe de Mézières ; ici Pierre Thomas a prêché et soufflé dans les âmes la sainte ardeur qui l’animait ; et c’est ici encore qu’éclata, au sacre de Pierre II, entre les podes-dats de Venise et de Gênes, cette futile dispute de préséance qui devait être si fatale à Famagouste; et c’est ici enfin que Catherine Cornaro, la dernière reine de Chypre, a solennellement abdiqué la couronne, et qu’en 1571, devant la cathédrale saccagée, Bragadino à subi son atroce et héroïque martyre. Ainsi, sur ce coin de terre, toute l’histoire de Chypre s’évoque, tragique ou glorieuse, devant les grands portails clos de Saint-Nicolas transformée en mosquée, mais qui demeure, aujourd’hui comme jadis, la merveille architecturale de Famagouste. Sans doute, à l’intcrieur, l’admirable cathédrale du xive siècle a perdu les fresques qui la décoraient et que recouvre la chaux musulmane, et les vitraux de pourpre claire et d’émeraude qui, par les grandes fenêtres aux rosaces ajourées, versaient dans l’édifice une discrète lumière; mais elle a gardé la beauté de ses proportions, l’élégante simplicité de ses lignes. Et sans doute aussi le fanatisme iconoclaste des vainqueurs a décapité les gargouilles, renversé les statues qui ornaient les portails. Pourtant, malgré ses blessures, l’église dans l’ensemble demeure intacte, élégante et solide, parfaite par la pureté du style, l’exquise entente des proportions, la franchise de la construction, le caractère de distinction noble et simple. « L’artiste qui l’a conçue était assurément, on l’a dit, un praticien consommé et un homme de goût impeccable1 » ; et je 1. Enlart, loc. cit., p. 279.