CONSTANTINOPLE 211 II Pour l’éternel badaud qui sommeille au fond des voyageurs les plus sceptiques, c’est une chose toujours attirante de voir un souverain qui passe ; et quand c’est le sultan, la curiosité se fait peut-être plus ardente encore et plus intense. Et voilà pourquoi nous sommes ce matin, très loin de la Stamboul populaire, sur les aristocratiques collines où se cache l’impériale résidence d’Yldiz, nous pressant aux fenêtres du kiosque et sur l’étroite terrasse qui font face à la blanche mosquée Hamidié. Et certes, le décor n’est point §ans beauté, avec ses larges perspectives ouvertes sur la ville et sur le Bosphore, avec les lignes sombres des régiments massés le long des avenues, avec le défilé des uniformes brodés annonçant la venue prochaine du maître; et le spectacle n’est pas sans grandeur, quand, ous le soleil éclatant de midi, la voix chantante du muezzin — une des plus admirables voix de l’empire — appelle aux quatre coins de l’horizon les fidèles à la prière, et que, parmi le cliquetis des armes, l’éclat des fanfares triomphales, le claquement des drapeaux inclinés, la rauque et sauvage acclamation des superbes soldats qui veillent sur sa sécurité, le sultan passe dans sa somptueuse calèche découverte, très simple en sa tunique grise parmi les dignitaires chamarrés et les sais rouges ou bleus tenant en main les chevaux harnachés d’or... Pourtant, malgré l’appareil de cette mise en scène, involontairement on pense aux sélamliks d’autrefois, aux grands sultans de jadis, chevauchant fièrement, dans ces prestigieux costumes qu’on garde