CHEZ LES SLAVES DE L’ADRIATIQUE 75 seule à proscrire le commerce des esclaves. Il me montrait, avec un orgueil que voilait une mélancolie profonde, l’antique et somptueux costume des recteurs de Raguse, la bannière aux couleurs pâlies de la République, et au-dessus de l’une des portes ouvertes dans ces admirables remparts, chef-d’œuvre de l’architecture militaire du xvie siècle, la statue de saint Biaise, protecteur de la cité, à demi cachée sous les festons de lierre. « Il s’est voilé, murmurait-il, maintenant qu'il n’a plus rien à défendre. » « Nous avons été une grande ville, me disait-il encore : aujourd’hui le présent est médiocre; que sera pour nous l’avenir?» Et il le rêvait, cet avenir, plein de revanches pour sa Raguse chérie : et moi, en regardant cette loyale et énergique figure, aux cheveux et à la barbe blanchis, cette haute taille fièrement redressée malgré l’âge, je songeais qu’il eût été digne, ce patricien, de présider aux destinées de l’antique Raguse, de servir, sous la simarre rouge du recteur, de modèle à Titien, et de mériter de la reconnaissance de ses concitoyens cet hommage que la libre République accordait bien rarement, une plaque commémorative, à l’inscription d’une sobriété toute républicaine, en l’honneur de ceux de ses enfants qui s’étaient dévoués pour elle jusqu’à la mort. Certes, dans cette âme fière, toute pleine des souvenirs de la petite patrie, tout endolorie de sa déchéance, quelque amertume eût été naturelle en pensant que des mains françaises avaient mis fin aux glorieuses destinées de Raguse libre. Rien de tel pourtant ne passait dans ce cœur de Slave, non moins épris des destinées promises à l’avenir de sa race que des souvenirs du passé, et je l’entends encore me dire : « Nous avons ici