EN MÉDITERRANÉE I Vers le milieu du Xe siècle, vivait à Byzance un grand général qui se nommait Nicéphore Phocas. Admirable soldat, chef de guerre incomparable, il avait passé sa vie entière dans les camps, aimant par-dessus tout son métier militaire, capable de toutes les fatigues et de toutes les audaces guerrières, dur aux autres comme à lui-même, adoré des troupes qu’enflammait sa rude et mâle éloquence, que sa magnifique bravoure entraînait à travers tous les périls. Mais sous cet extérieur de soldat froid et calme, sous des dehors taciturnes et sombres, dormait une âme profondément passionnée. Une dévotion ardente, exaltée encore par des tristesses intimes, l’avait de bonne heure incliné au mysticisme : comme tant d’autres de ses contemporains, il avait rêvé d’abandonner le monde, pour chercher dans la solitude du cloître l’oubli et la paix; et de ce désir irréalisé il garda longtemps des habitudes d’ascète, se plaisant à la compagnie des moines, s’exténuant de jeûnes, couchant sur la dure, enveloppé du cilice que lui avait légué son oncle, un religieux mort en odeur de sainteté. Ppis, dans cette âme mobile et troublée, une autre passion, non moins fougueuse, non moins ardente, avait chassé les visions pieuses : un amour insensé avait pris Nicéphore pour une belle impératrice pour cette charmante et perverse Théophano, qu’un chroniqueur de l’époque nomme « la plus belle, la plus séduisante, la plus raffinée de toutes les femmes de son temps ». Lui avait alors cinquante ans, le teint noir et hâlé, la barbe déjà grisonnante, la taille courte, presque