LES EXPLOITS DE DIGÉNIS AKRITAS 67 L’esprit grec à cette époque est un esprit critique, positif, avec des instincts de curiosité scientifique, mais sans enthousiasme, sans élan, amoindri et appauvri, débilité en quelque sorte par les jeûnes intellectuels que lui impose le cléricalisme orthodoxe, découragé par la croyance généralement répandue alors, consignée notamment dans les Oracles de Léon le Philosophe, que Constantinople et la civilisation hellénique touchaient à leur fin. Ce raffinement poussé jusqu’à l’énervement, cette anémie morale contrastent avec les conditions exigées pour la poésie épique, non pas celle que des lettrés comme Virgile ou le Tasse peuvent composer à loisir dans quelque cour élégante, mais celle qui naît spontanément chez les nations héroïques, d’un sang jeune et bouillant, riches d’avenir et d’illusions. Si nous considérons d'autres côtés de la vie byzantine, nous sommes tout aussi loin de l’épopée. Nous voyons partout la richesse, le luxe, je dirai presque le confort d’une de nos grandes capitales modernes. Nous voyons une cour polie, tout absorbée dans les menées souterraines, les rivalités de coteries, les intrigues de femmes et de moines, et dans laquelle le souverain est au même titre que ses courtisans l’esclave de la convention et de l’étiquette; — une administration rigoureusement hiérarchisée, entichée de réglementation et de paperasserie, suppléant par l’activité de ses innombrables bureaux et chancelleries à l’inertie des citoyens; — des artisans qui vivent au jour le jour de leur petit métier, des gens d’affaires et des gens de plaisir, des industriels et des banquiers, des marchands qui spéculent sur les blés de la Scythie ou les vins de la Grèce. Cons-