LES EXPLOITS DE DIGÉNIS AKRITAS 91 D’ailleurs il est aussi versé dans la mythologie profane que dans les histoires bibliques; il y a presque de l’érudition dans la description qu’il nous fait des peintures dont Akrilas embellit son palais de l’Eu-phrate. Elles représentent toutes les péripéties de l’histoire de Samson avec Dalila et les Philistins, de David avec Goliath et Saül, « ainsi que les autres événements importants du Livre des Rois ». Bien que le poète ait la prétention d’écrire la biographie de Digénis Akritas, et que par exemple il calcule à une livre près le montant de ses revenus annuels, il est assez visible qu’il a mêlé aux faits réels des traits de pure imagination, empruntés soit à la légende même de Digénis, soit à ses propres lectures, aux épopées antérieures; mais avec son éducation de lettré byzantin, il ne pouvait manquer d’affaiblir tous les traits épiques qui se présenteraient à sa mémoire. Ainsi les rapts de femmes lui étaient imposés à la fois par ses modèles et par son sujet. Rien n’est plus commun dans les anciennes épopées, et rien n’était plus ordinaire au Xe siècle dans la vie des pays frontières. Dans notre poème, il s’en rencontre jusqu’à trois exemples : l’enlèvement de Y admirable jouvencelle par l’émir, celui d’Eudocie par Digénis, celui de la jeune Arabe par le fils d’Antiochus. Ces faits ne demandaient ni à être expliqués, ni à être adoucis : ils sont une conséquence naturelle de la guerre asiatique. Mais le poète a été trop bien élevé : il souffre de voir violer ainsi le quatrième commandement du Décalogue qui prescrit le respect des parents ; ce défenseur de la famille trouve un biais pour concilier le droit canon et le droit héroïque. Le rapt a bien lieu, et plus d'une tète est