LES EXPLOITS DE DIGÉNIS AKRITAS 93 sonnages y sont prolixes et émaillent leurs discours de citations des bons auteurs. Malgré sa pruderie, l’auteur multiplie les peintures voluptueuses : la moitié de l’action se passe en épanchements amoureux. La vraie poésie épique est plus chaste et plus sévère. Les hésitations du poète byzantin, lorsqu’il entame le récit de quelque exploit surhumain, sont risibles. Quand Akritas raconte qu’il a vaincu 300 apélates ou assommé un lion d’un coup de poing, il lui prend des scrupules de vraisemblance. Il s’interrompt pour dire : « Je rougis de raconter ces choses-là, mes chers amis, de peur que vous ne croyiez que je me vante, car l’homme qui raconte ses exploits est considéré comme un vaniteux par ceux qui l’entendent ». Ces précautions oratoires ont pour effet de détruire l’espèce d’illusion épique qui nous permet d’assister sans protestation aux exploits les plus étonnants des demi-dieux. Quand un écrivain se montre à la fois hyperbolique et discu-teur, lorsqu’il doute lui-même de ses fictions et qu’il marchande notre crédulité, il peut bien arriver à l’exagération la plus absurde, il ne s’élève pas jusqu'à l’épopée1. On voit par là combien l'œuvre d’un lettré diffère des chansons vraiment populaires, nées du fécond éveil des masses. Dans les traditions déjà formées sur Akritas, notre poète byzantin avait trouvé les éléments d’une Digénide; mais il n’y a puisé que timidement et n’a pas osé présenter au public délicat de Constantinople les hardies inventions des hommes [i. Ces remarques, très justes, permettent de penser que le poème, sous sa forme actuelle, est un remaniement postérieur de l’épopée primitive du x” siècle.]