LES EXPLOITS DE DIGÉNIS AKRITAS 69 en esclavage par les Arabes, empalé par les Turcs, étranglé par le lazzo d’un Slave? Cette existence aventureuse, ces dangers quotidiens, retrempaient les hommes, lavaient ce vernis superficiel de civilisation. Ils oubliaient vite les leçons de l’université, de l’église, du cirque ou du théâtre. Ils vivaient de cette vie héroïque qu’on mène sur les frontières longuement disputées, borders d’Écosse, marches de Germanie, ukraines des pays russes. De Constanti-nople était parti pour les camps un petit-maître; au bout de quelque temps il était devenu un héros d’Homère. On grattait le byzantin, on retrouvait le palikare. Sur les confins du nord, on avait eu à combattre les Huns, les Avars, les Bulgares, les Hongrois, les Russes, les Khazars. Dans la Grèce proprement dite avaient fait irruption les tribus slaves, et un auteur du Xe siècle assure que la Hellade avait perdu sa population hellénique et s’était totalement sla-visée. Dans les montagnes du Péloponèse, les Milinges et les Ézériles du Taygète, qui étaient des Slaves, les Mardaïtes du Magne, qui passaient pour les descendants des anciens Spartiates, s’obstinaient dans leur indépendance et leur paganisme, bravaient l’autorité de l’empereur et recevaient ses percepteurs ou ses soldats comme les Monténégrins ont longtemps accueilli ceux du sultan. Les populations helléniques ou romaines de la Dalmatie se défendaient à grand’peine contre les pirates serbes ou croates, celles de l’Italie méridionale luttaient contre les invasions germaniques, celles de l’Archipel et de la Crète étaient insultées par les forbans arabes, celles de la Crimée se débattaient avec les Khazars et les Petchenègues. Sur les confins de l’empire, la