124 ÉTUDES SUR L’HISTOIRE BYZANTINE Je venais de franchir le mur d’eneeinte, j’étais en ville et je me trouvais près du cimetière où reposait le corps de ma sœur. C’était justement le septième jour après ses funérailles et beaucoup de nos parents s’étaient rassemblés là pour pleurer la défunte et offrir à ma mère des consolations. J’avisai un d’entre eux, un brave homme sans malice, qui n’était pas dans le secret du pieux artifice dont mes parents avaient usé pour me rappeler. Je lui demandai des nouvelles de mon père et de ma mère et de quelques-uns des miens. Lui, sans chercher d’ambages ni de détours, me répondit tout franc : « Ton père fait les lamentations funèbres sur la tombe de sa fille; ta mère est à ses côtés, inconsolable, comme tu le sais, de son malheur ». 11 dit et je ne sais plus ce qu’alors j’éprouvai. Comme frappé du feu du ciel, inerte et sans voix, je tombai à bas de mon cheval. La rumeur qui s’éleva autour de moi frappa l’oreille de mes parents : une autre lamentation éclata, les gémissements recommencèrent plus violents encore à mon sujet, comme un brasier mal éteint qu’un coup de vent a rallumé. Ils me regardèrent d’un air égaré et pour la première fois ma mère osa lever son voile, sans souci d’exposer son visage aux regards des hommes. On’se penchait sur moi, chacun s'efforcait de me loucher, cherchant à me rappeler à la vie par ses gémissements. On m’enleva à demi-mort et on me transporta près du tombeau de ma sœur *. Il faudrait lire beaucoup de chroniqueurs avant de trouver un tableau aussi caractéristique des mœurs byzantines. On voit que même à Constantinople, même parmi les classes lettrées, se perpétuaient les anciens usages populaires de la Grèce. A certains jours déterminés, ou voit les familles se réunir pour improviser sur la tombe des morts ces lamentations que les reines et les princesses d’Homère, d’Eschyle et de Sophocle font entendre sur le corps inanimé de Patrocle ou de Polynice. I. Sathas, Bibliotheca, t. V, p. 29 et s.