LES EXPLOITS DE DIGÉNIS AKRITAS 103 chants bulgares récemment publié par M. Dozon, nous voyons, entre autres, Boiana la Romaine, qui est devenue chef de palikares et qui commande à « septante sergens » : nul parmi ces braves ne sait comme elle traverser un anneau avec la flèche d’acier et franchir d’un bond neuf sabres fichés en terre. Ces héroïnes sont si bien dans la tradition épique que môme des épopées artificielles, comme celles de Virgile ou du Tasse, ont dû admettre le type de Camille, la vierge volsque, et de l’altière Clorinde, l’effroi des chevaliers chrétiens. La donnée la plus hardie qui se rencontre dans les chansons akritiques, c’est la lutte de Digénis contre Charon. Sans doute plus d’un héros de l'Orient en est venu aux mains avec des êtres « qui ne sont pas de ce monde-ci » : Jacob a lutté avec l’ange; Rustem a vaincu le Dive blanc de la caverne; Sisyphe, « le plus rusé des mortels », est parvenu à enchaîner la Mort; Hercule, plus d’une fois, a fait sentir le poids de son bras aux hôtes de l’enfer; mais le trait qui manque à toutes ces fables, et qui fait l’originalité des chansons anatoliques, c’est que le héros se trouve aux prises, non avec un ennemi ordinaire, mais avec sa propre destinée, et que, fût-il victorieux, il faut qu’il succombe. Je crois qu’on ne rencontrera d’analogies avec cette tradition étrange que chez les peuples slaves. Dans le recueil de M. Dozon le héros bulgare Stoïan lutte avec une dive; il allait la vaincre lorsque les éléments se déchaînent, et Stoïan, enlevé par un ouragan, retombe fracassé sur une pointe de rocher. Nous avons vu la chanson moscovite sur Anika. D’autres bylines russes reproduisent, mais avec des