198 CRUCIFIÉS AU CARREFOUR Une de ces illusions aggravées par le matérialisme de notre époque est la foi aveugle de tous les peuples jeunes et manquant d’expérience politique en la puissance miraculeuse des institutions. On ne saurait contester l’importance des institutions dans la société humaine. La qualité du vin dépend, dans une large mesure, du récipient dans lequel on le garde; de même, les institutions influent incontestablement sur la formation de la mentalité d’une société. Mais très souvent la société et sa mentalité sont plus fortes que les institutions et parviennent à leur imposer leurs marques. Durant cinq siècles entiers, la grande majorité des Serbo-Croates ont passé leur vie à faire la guerre et surtout à prendre part à une « guérilla » qui, par la durée et l’intensité, est unique dans l’histoire des peuples. Cette pratique plusieurs fois séculaire de guerres et de guérillas a influé sur la mentalité serbo-croate dans un sens positif, mais dans un sens négatif aussi. Si l’on considère les conditions de la vie moderne, les conséquences négatives sont les plus importantes. Cette façon de vivre n’a pas développé chez les Serbo-Croates le goût du travail intensif car elle a demandé par moment des efforts surhumains qui ont été suivis de longues périodes d’inactivité; cette vie guerrière n’a pas agi favorablement pour développer leur sens de l’économie systématique. Le danger perpétuel, les péripéties de luttes, l’insécurité du lendemain et de la fortune personnelle et familiale, — toutes ces