LES DEUX CROATIE 51 doit avoir perdu ses charmes juvéniles et pourtant certains Messieurs de Zagreb ont toujours, comme on le voit, la devise : « Marie-toi, heureuse Croatie ! » La Croatie féodale et bourgeoise a été et est restée le champion de l’esprit étranger et le propagandiste inlassable de l’éloignement des Serbes et des Croates. Elle s’est faite la zélatrice du mépris et de la haine des Serbes parce qu’ils formaient une démocratie paysanne, qu’ils avaient perdu leur caste noble à la suite de l’invasion des Turcs, qu’ils étaient dépourvus de titres, plus simples et plus naturels parce que plus près de la terre, n’aimant ni le cérémonial, ni l’affectation. Quant à l’autre monde, la Croatie populaire, composée de l’immense majorité des Croates, serfs, paysans libres ou soldats, elle a été, dès le début, l’adversaire résolue de la papauté et du latinisme, de la fraternisation avec les Hongrois, de la fausse aristocratie et du snobisme culturel et nationaliste. Ces hommes du peuple croate étaient devenus de bons chrétiens, mais ils étaient partisans farouches de la Glagolitza (la lithurgie en langue slave), ils se tournaient volontiers vers le « bogoumilisme » (1) et ils ne considéraient pas que les orthodoxes leur fussent inférieurs en quoi que ce soit. Lors de l’invasion turque, le peuple croate partout — sauf dans la province de Zagorié (2) — s’est (1) Secte correspondant aux Albigeois. (2) L’Hinterland le plus proche de Zagreb.