LE MOIS HISTORIQUE DE L'ITALIE (MAI 1015) 249 Uberti, M. Giolitti aura pu se poser la question douloureuse : « Pourquoi ce peuple me hait-il? » Cependant le même phénomène portait M. Ga-briele d’Annunzio à la tête de la foule favorable à l’intervention. Qu’un lettré subtil, un poète savant, un écrivain d’un esthétisme raffiné, inaccessible au vulgaire, soit devenu un tribun, un excitateur des masses, c’est un des traits les plus remarquables de cette période agitée, un de ceux qui seront retenus par l’histoire. L’Italie est, dans le monde moderne, une des terres privilégiées où ces métamorphoses restent possibles, où la littérature est mêlée à la vie, où chacun est accessible au lyrisme, le porte à fleur de peau. Il faut penser à Lamartine en 1848 pour trouver un précédent à ce rôle joué par la poésie dans un grand mouvement politique : encore les poèmes de Lamartine faisaient-ils, comme ses discours, appel aux sentiments les plus généraux, on pourrait dire aux lieux communs du cœur, tandis que, chez M. d’Annunzio, tout est docte, même le langage des passions, même l’expression du patriotisme et du loyalisme. Partout ailleurs qu’en un pays méditerranéen, M. Gabriele d’Annunzio eût paru voué à jamais à l’incompréhension de la foule, destiné à la tour d’ivoire... Le 12 mai, première soirée de contact avec