182 L'ITINÉRAIRE DE YOUGOSLAVIE poignée de jeunes oignons crus et ce rayonnant vin de Bitoli, qui a la couleur de l’aurore et le goût du printemps. Il était, avant 1912, le cuisinier d’un pacha commandant le corps d’armée de Monastir. Ah! ce pacha! quel pacha! On ne pouvait être plus pacha que ce pacha! Et Kalîm Nazif a été à l’école de ce pacha! Il vous présente sur ses tables de bois blanc nettes comme l’albâtre, des choses inouïes, des choses qui ont des noms impossibles, mais qui fondent, viandes, poissons ou légumes, dans la bouche pavoisée d’allégresse, des choses qui vous réjouissent la chair et l’âme, qui vous font tout voir en beau, même Bitoli! * Nous allons chez Angélina Maunovitch pour fêter la slava. Il n’est pas encore huit heures et demie du matin quand nous nous arrêtons devant la maison. Le vestibule et l’escalier sont pleins de fleurs, plantes en pots, petits bouquets dans des vases multicolores. Toutes les chambres ont été transformées en salons de réception. Des divans couverts de tapis aux laines violentes régnent le long des murs et devant les fenêtres. Une immense table garnie de nappes brodées, de cristaux et d’argenterie occupe le milieu de la plus grande pièce. Dans un angle, éclairée par une lampe de cuivre ajourée, luit dans ses ors l’icone de Saint Georges, le patron de la famille. C’est un cavalier d’un rouge de laque, sur un cheval blanc caparaçonné de dorures : il fait un geste meurtrier parmi les inscriptions cyrilliques qui recouvrent l’enduit d’un beau brun violet, tout craquelé par deux siècles de vieillesse.