DE DETCHANI A SKOPLIÉ 135 * $ * Nous emmenons un instituteur qui ne connaît pas un mot de français mais qui a l’esprit analytique. De Priz-rèn à Ourochévatz, il nous expose les nuances du serbo-croate. Marie-Jeanne absorbe en quinze jours les langages les plus épineux et les orne ensuite des subtilités de la grammaire. Moi, je suis très paresseux. Ce que je connais des langues que je parle m’est entré dans la tête je ne sais comment, par la faveur du Gospodîn. Il est certain que cette démonstration philologique m’a empêché de regarder le paysage, car je ne me rappelle plus rien. L’étude comparée des langues est mon vice. Il est bien heureux pour moi que les types de la tour de Babel aient abandonné leur boulot pour courir chacun derrière les jupes d’une syntaxe différente. Nous semons notre homme à Ourochévatz1 qui est une rue de galets boursouflés entre des boutiques pouilleuses. Il nous tombe sur le dos un de ces orages du crû, quelque chose d’orchestral et de diluvien. Nous poussons tout de même vers Katchanik. Malheureusement on est occupé à refaire la route. Cela veut dire qu’on a mis la glaise à nu en attendant un rechargement probable. Sous la pluie torrentielle, cela devient une gadoue où nous enfonçons jusqu’aux marchepieds. La voiture titube à travers ce marécage. A la première côte, nous glissons en arrière sur nos quatre roues immobiles et nous allons donner du derrière contre le talus. Impossible de franchir cette pente qui n’a pas dix degrés. Et la nuit vient. Nous décidons de camper où nous pourrons. Après une demi-heure de manœuvres nous amenons la voiture dans une prairie, à la lisière d’un bois. 1. Marché le samedi.