164 L’ITINÉRAIRE DE YOUGOSLAVIE nière fois devant cette vie que j’aurai tant aimée, je les reverrai près de moi, dans leurs robes irréelles, avec leurs bijoux d’or et de soie, et qu’elles chanteront leur musique d’anges, oui, comme cela, exactement comme elles me sont apparues dans la prairie de Léchak. * ❖ * Gostivar : pavé de cailloux, boutiques noires, maisons de bois, type de ces petites villes turques que j’ai décrites une fois pour toutes. Nous abandonnons sur la place la voiture et le Puma, et nous allons flâner dans le bourg où sommeille un ennui provincial. Quelque part une fanfare de tziganes joue un kolo sautillant. Nous la cherchons à travers les ruelles. Elle est au fond d’une impasse, dans un jardin de guinguette où des tables s’allongent sous des arbres fruitiers. Foule orthodoxe, endimanchée. Quelques femmes en costume albanais portent sur une jupe blanche une longue tunique de laine grenat brodée d’or sur la poitrine. Devant la porte du jardin, une rangée d’hommes coiffés du fez contemplent la fête avec gourmandise, car les musulmans ne sont pas admis. On danse le kolo sous les arbres, soit en farandole, soit en cercle. L’orchestre est fait de deux trombones, un cornet à pistons, une clarinette et une grosse caisse, les cuivres maniés par de bons bougres rigolards, les joues gonflées à bloc sur les embouchures. De jeunes garçons s’empressent autour des tables surchargées de bouteilles, de carafes et de victuailles. Je commande du vin, du pain, du fromage. Celui qui me les apporte me demande si je ne veux rien d’autre. On place devant nous des assiettes de gâteaux, de charcuteries, de fruits, de figues sèches, de graines de tournesol, une grande carafe de raki, un pot de limonade, sans