66 l’itinéraire de Yougoslavie ville du bord de l’eau, vénitienne comme on ne peut pas l’être plus, son arsenal pour le défunt Bucentaure, ses quais à pyramides, sa loggia, ses églises, ses palais ruinés, ses maisons fleuries à toutes les fenêtres et surtout, — chose unique, même en y comprenant Venise — son petit théâtre à la Goldoni, au-dessus de l’arsenal, un joyau de Commedia dell’arte, d’une évocation si forte qu’on y retrouve des mesures de quatuor et la lueur des beaux regards par les fentes de la bautta. Que j’ai revu de menus gestes à la Pietro Longhi pendant que Marie-Jeanne faisait sur la scène la Serpina de Pergolèse. Il y a, tout au bout de la ville, dans une anse très abritée, un couvent de Franciscains. Il est bien certain, comme je l’ai vu, que tous les gens ensevelis dans l’église ont des noms en itch, mais tout de même, c’est furieusement italien. Le jardin, derrière le couvent, terrasse de citronniers au-dessus d’une mer d’un bleu opaque, me fait songer à ma petite maison de Lerici. Un cyprès en ombrage le centre, un très vieux cyprès dont on a jadis forcé les branches, et qui s’étale horizontalement. Sur une table de marbre, près du tronc, est gravé dans la pierre un échiquier, et deux moines poussent les pions sans dire un mot. Le Père Paul nous montre avec orgueil les trésors de sa maison. Tout est Véronèse, ravennate ou padouan. Je reviens avec gourmandise vers le jardin qui sent le citron vert. Jusqu’au soir où les feuilles noircissent et où les fruits s’éclairent, je combattrai contre un vieux moine, sur l’échiquier de marbre, et je serai invariablement battu.