PAYSAGES CROATES — LES LACS DE PLIVITZÉ 35 première de ces montées brutales qu’offre l’ancienne route autrichienne. Elle s’accroche au flanc d’une roche micassée comme le borax. Rien ne pousse sur ce terrain chimique. Mais à mesure qu’on s’élève, un admirable paysage se développe sur la mer. Les îles, en montant sur l’horizon, se dessoudent, laissant entre elles de longues lagunes brillantes qui déclinent de l’orangé au jaune transparent de la topaze. Quand nous parvenons au col de Vratnik, cette vision de lumière et de terres suspendues occupe la moitié du ciel. On dirait la traînée de stratus bleuâtres sur un couchant africain. De l’autre côté du col, le paysage se transforme brusquement. Par un de ces contrastes si fréquents dans le pays, ce ne sont plus que bois et prairies, vallées où poussent le jeune maïs et le blé en herbe. Maisons basses à tuiles de bois d’un gris satiné, sous de grands arbres à feuillage dru. La route n’est qu’un bourbier, ou un rechargement de cailloux que l’on traverse dans un fracas d’avion. Il pleut. Des filles splendides vont sous l’averse avec une indifférence princière. Elles portent une longue quenouille de bois, en forme de pelle ajourée, garnie d’une épaisse touffe de laine. Elles filent en marchant : leur fuseau suspendu devant elles tourne lentement au bout du fil. A Ototchac, c’est le déluge. Le bourg n’est qu’une large avenue bordée de maisons banales, l’église blanche et sans style, le clocher protestant. Nous avons renoncé à camper sous la pluie et nous descendons dans une auberge de rouliers qui s’intitule pompeusement Hôtel de Plivitzé. C’est propre, parqueté en bois blanc, les murs peints à la chaux. Nous faisons connaissance avec le lit yougoslave qui est le même, hélas 1 dans presque tout le pays. Il est en fer, large de quatre-vingts centimètres environ, et — comme le disait mon cher Gaston de Paw-