276 L’ITINÉRAIRE DE YOUGOSLAVIE chante de vieilles pesmé de Macédoine qui ont l’air de pleurer la mort du soleil. Il ressuscite le lendemain, et nous parcourons la ville de bas en haut, car elle étage ses maisons de bois, ses minarets et ses tours sur le flanc d’une colline à pente douce, jusqu’à la forteresse que le duc Hervoïa, regulus bosniensis, fit construire, vers 1400, par des architectes dalmates. C’est ce qui explique la présence inattendue, parmi les toits bosniaques, d’une tour à baies romanes semblable au campanile de Split. Il subsiste encore une partie des anciens remparts construits de ce tuf couleur de boue qui est la pierre du pays. La tour d’entrée, avec ses trois fenêtres et son portail ouvert, figure un visage humain. Contre la muraille, une belle fontaine turque est le rendez-vous des commérages. J’en ai fait mon poste d’observation pour étudier l’humanité disparate de cette ville où les musulmans, les catholiques et les orthodoxes font bon ménage, ces derniers en minorité, les autres à parts égales. Les musulmans y sont plus turcs qu’ailleurs. Beaucoup d’hommes portent le turban, et l’on y trouve des types humains qui semblent venir de l’Anatolie. Ces gens-là, en dépit des ordres du sultan, résistèrent comme des enragés à l’occupation autrichienne de 1878. La Bosnie a toujours été un rempart, au moyen-âge contre l’invasion de l’Islam, aujourd’hui contre l’invasion de l’Occident. Les femmes orthodoxes ne se distinguent guère des catholiques, si ce n’est par la ketzelja, le tablier de tapisserie, comme dans tout le pays. L’hiver qui commence leur fait mettre par-dessus leur robe de toile gaufrée, ornée de minces broderies verticales, une sorte de redingote sans manches, de grosse laine naturelle, raide comme du cuir. Elles portent sur la tête un pech-