DE SPLIT A RAGUSE 71 que l’on domine de très haut, semble une soie crêpelée, d’un vert de péridot. Arrêt à Trsteno, sous le plus gros platane d’EuropC, douze mètres de tour. Avec son frère voisin, un peu plus petit, il couvre un terrain plus vaste que la place Pigalle. Nous descendons à pied, par des tunnels de chênes-verts, de lauriers et de buis géants, jusqu’à la maison du comte Gozze. Elle est enfouie dans un bois tropical où se confondent toutes les essences, jusqu’au bananier et au poivrier. Sous leur ombre, des fontaines muettes, ornées de statues, ont la grandiloquence des jardins Aldobrandini ou de la Granja de Ségovie. C’est un charmant palazzo italien, d’une architecture très simple, ouvert, d’un côté, sur des pergolas de vigne et une terrasse de palmiers dont la loggia domine la côte et les îles. Le comte est un petit vieillard de quatre-vingt-deux ans, alerte et loquace, vieux patricien de Ra-guse, les Gozze étant, après les Caboga, la plus ancienne famille de la République. Il parle un français bizarre, dont la plupart des mots ont une terminaison italienne. Il parle aussi le croate, mais seulement à ses domestiques. Il nous accueille avec une sorte de lyrisme que je croyais de politesse mais qui est dans sa manière habituelle : — Soyez les bienvenuti, chari signori! Jé souis content que la bellezza et la poésia entrent en même tempo dans ma casa! Il prend Marie-Jeanne par la main, il nous fait entrer dans une grande pièce fraîche, ouverte des deux côtés, sur la terrasse et sur le bois. Partout, des vases débordants de tubéreuses. — Jé adoro les flori ! Elles sont la félicita de ma vita ! Il nous mène à travers cette maison où tant de choses se sont arrêtées depuis tant d’années et ont pris le visage de ceux qui les possédèrent. Le hasard les a placées là,