104 L’ITINÉRAIRE DE YOUGOSLAVIE tigné. Tu recevrais certainement une balle de revolver. — Dis plutôt une cigarette!... D’ailleurs, sois tranquille, je n’y reviendrai plus. Nous y sommes tout de même repassés deux fois. Et on ne m’a pas encore tué. Gare à la prochaine fois! * ** Franchi le bord de la cuvette, la route descend rapidement dans une vallée de pierre ponce. Plus bas, le miracle de l’eau rajeunit la terre. C’est parmi des vergers et des cultures qu’on arrive à Riéka, un gros bourg qui n’est qu’une place ou un quai, avec des moulins et un vieux pont turc, les façades de couleurs chaudes. On est tout surpris de trouver sur la rivière, entre les hauts versants boisés, une petite canonnière battant pavillon national. Nous sommes revenus au niveau de la mer. C’est ici l’extrême pointe du lac de Scutari qui pousse dans un défilé ses eaux couvertes de nénuphars. Je passe la soirée à jouer aux échecs, dans un cabaret, avec un quartier-maître de la marine royale, et je me fais mettre échec et mat à chaque partie. Ces Yougoslaves, les Serbes surtout, sont imbattables sur l’échi-quier. Marie-Jeanne, pendant ce temps, potasse la méthode Sauer : elle se lance maintenant dans les conjugaisons de cette langue subtile qui a des gérondifs et des participes passés passifs. Nous allons finalement camper au bord de la rivière, dans un grand concert de grenouilles. Au petit matin, nous escaladons les collines de chênes nains qui nous séparent de Podgoritza. Nous recueillons un jeune otatz barbu et chevelu, coiffé du bonnet tubulaire. Sa robe noire est roussie de crasse. Il pue comme un bouc et ne cesse de regarder d’un air lubrique