L’ATTENTAT de SARAJEVO 253 garnison de Sarajevo jouait sur la pelouse. Comme aujourd’hui l’odeur des lauriers et du terreau entrait dans la pièce. C’est le dernier repas de cet homme et de cette femme qui vont mourir. J’ai pu me procurer le menu et l’ordonnance de la table. Il n’y a qu’une seule femme : Sophie. Elle est encadrée par deux archevêques : Stad-ler et Lética. En face d’elle, François-Ferdinand a à sa droite le général Potiorek, à sa gauche le président du Sabor, Causevitch. Les autres membres du parlement bosniaque, le rabbin Lévy, le bourgmestre, des catholiques, des orthodoxes, se côtoient comme toujours dans cette ville étrange où des fonctionnaires musulmans suivent la procession de la Fête-Dieu. Le menu est en français, un français d’ambassade, pour éviter de le présenter en autrichien ou en serbo-croate. On sert des « soufflés délicieux », une « pièce de bœuf et agneau », des « filets à la renaissance », des « oisons rôtis, salade, compote », etc., avec du Château-Léoville, du Pommery, du Tokay et du Zivatica de Mos-tar. La musique, sur la pelouse, joue Le beau Danube bleu, une fantaisie sur La Bohême, la Rêverie de Schu-mann et un pot-pourri de Franz Lehar. Les abords de l’hôtel sont soigneusement nettoyés. La populace est refoulée aux abords du parc, sur la route pavoisée de drapeaux autrichiens et bosniaques. La cohue écoute les flonflons lointains de la musique. Les conjurés ne sont pas là. Ils font chez Ilitch la veillée des armes. Le banquet terminé, on se répand dans les salons, je veux dire ces pièces tristes comme des antichambres de caserne dont j’ai parlé plus haut. François-Ferdinand va et vient, en compagnie de l’oberleutnant Merizzi, celui-là même qui sera blessé le lendemain par la bombe de Tchabrinovitch. Les membres du Sabor, ce parle-