2Í)4 i/lTINÚRAIRE DE YOUGOSLAVIE tôt la cliose comme ceci : Joseph est sur l’âne, à califourchon, les pieds pendant au ras du sol, attentif aux pierres de la route qui pourraient blesser sa bête; Marie vient derrière, marchant les pieds nus, des paquets dans les deux mains, l’Enfant Jésus dans son capuchon ou sur la hanche. La route s’élève lentement vers l’Ivân Planina qui est la frontière de l’Hertzégovine. La pente est peu sensible de ce côté : ce n’est qu’un soulèvement du plateau. Dra-gotchaï marque le sommet, au milieu d’une forêt de hêtres qui, en novembre, quand nous passerons le col pour la cinquième fois, ne sera qu’une énorme futaie d’or, de cuivre et de pierreries. L’autre pente est vertigineuse. La route taillée dans le roc domine un précipice tout noir où ronfle le torrent naissant de la Néretva. Au bas, se pressent les maisons blanches de Kônjitz coupé en deux par la rivière, les deux parties reliées par un vieux pont turc en dos d’âne, d’une seule arche de pierre. Nous avons de bons amis au bout de ce pont. La première fois que nous y sommes passés, nous nous sommes arrêtés dans un petit café musulman. Il y avait là une vingtaine d’hommes en fez, les ordinaires clients des cabarets turcs, qui ne consomment jamais rien et rêvent sur les bancs en fumant des cigarettes. Des gens pour nous, car, après tout, nous n’aimons que les paresseux. Et nous avions passé deux heures à nous faire conter des histoires de tchépénak. On appelle ainsi des anecdotes d’un esprit très particulier, mélange de farce et de philosophie, qui ont pris, je ne sais pourquoi, le nom des volets de bois, tcüépénak, qui ferment les boutiques musulmanes. Maintenant, dès que la voiture apparaît au bout de la rue ou sur la crête du pont, le patron et toute la clientèle, qui est toujours la même, sortent de la kafana