XV SKOPLIÉ — LA CÉRÉMONIE DERVICHE N fossé de pavés disjoints où coule un ruisseau de lessive, entre de vieilles maisons turques à moitié éboulées, telle est la ruelle qui nous mène chez les derviches. Derrière la grille de bois du couvent, un jardin de curé, plein de lis et d’hortensias, est semé de stèles blanches coiffées de turbans de pierre : le cimetière des moines. Cheik Saad-en-Dinn, leur chef, nous attend dans le salon de réception. Il est accroupi dans un angle, près de la fenêtre, sur un divan bas. Il est vêtu d’une grande robe de soie mauve et porte un turban bigarré. Il ressemble étrangement à Anatole France : il en a l’œil à paupière retroussée, noir et brillant, le haut front, la bouche narquoise, la barbe blanche, bien soignée. C’est le chef des derviches, non seulement de ce couvent mais de tout le pays, la plus haute autorité ès sciences musulmanes, riche de savoir et de biens terrestres. Il nous accueille avec aménité, il sourit à la jeunesse de Marie-Jeanne. Il s’y connaît : sa plus jeune femme n’a pas quinze ans. Il nous invite à prendre le café. Un adolescent beau comme une lune, dirait Schahrazade, nous tend les menues tasses entre le pouce et l’index,