LA TSERNAGORA — DE KOTOR A PETCH 101 sence de style du plus banal village français. Il n’y a pas si longtemps qu’elles étaient encore couvertes de chaume, ce qui pouvait leur donner un caractère champêtre : elles le sont maintenant de tuiles industrielles et de plaques de fibro-ciment. Toutes sont peintes de ces couleurs fades, gris sale, vert maladif ou jaune délayé, que nous retrouverons dans la Vieille Serbie. Dans l’infini de cette avenue piaillent sous une ombre maigre des moutards et des poules. Les autres rues sont un peu moins larges, lignes droites de maisons semblables, et qui se coupent à angle droit. Pas un morceau d’architecture, pas un dessus de porte, pas un balcon, pas un pilastre, des murs secs, des fenêtres sans saillie, des portes qui sont un trou rectangulaire. Et peut-être cela vaut-il mieux, si l’on s’en rapporte aux statues en ciment et aux lions du même qui ornent la Banque du Commerce, ou à la façade en céramique de couleur de la Narodna Banka. — C’est effarant, me dit Marie-Jeanne, d’être venu si loin pour trouver ça! Une petite place de chef-lieu de canton a un bel arbre qui abrite les tables d’un café. Les autres sont d’immenses aires de cailloux où s’étiole un ormeau veuf. On avait de la place, on ne l’a pas ménagée, et la ville s’étire tant qu’elle peut pour avoir l’air d’une capitale. Son jardin public n’en finit plus, avec ses longues allées de sapins noirs où règne une ombre de cimetière. Ceux qui rêvent du costume monténégrin feront bien de pousser jusqu’au coeur du pays. Encore ne rencontreront-ils quasi nulle part la redingote traditionnelle des Tsernagortses. Il se promène encore dans la ville quelques vieux messieurs, la canne ou le parapluie à la main, qui portent la kapa à fond rouge, la culotte bleue à la turque, des jambières de laine et le gilet rouge à broderies d’or sous un veston de confection. Ils ont