14 L’ITINÉRAIRE DE YOUGOSLAVIE Nous nous sommes installés à la terrasse d’un café, devant la darse vide et nette, qui ressemble à un grand bassin d’agrément, dans un parc. Nous prenons l’ame-ricano parmi des bottes et des éperons. Marie-Jeanne a étalé sur la table son manuel de conversation yougoslave. Elle ressasse les phrases magnétiques qui ouvriront les portes de la douane : — Imaté li chto da pocajété? — Vous n’avez rien à déclarer? Et la réponse que nous étudions depuis Paris, à travers la France, la Suisse et l’Italie : — Své yé za moyou litchnou oupotrébou. Je la saurai par cœur jusqu’à mon dernier soupir, et je la redirai à toutes les douanes du monde, sans hésiter, en serbo-croate, pour le seul plaisir de constater la fantaisie de ma mémoire. — Je crois que ça peut aller, dit Marie-Jeanne en se levant. Tu vas voir ce qu’on va les épater! Nous remontons en voiture. Nous tournons sous les arbres de la via Fiumaria. Nous arrivons au pont de fer jeté sur le torrent qui sépare les deux pays. A un mât surmonté d’une étoile flotte le drapeau italien. Un autre mât surmonté d’un aigle dresse à l’autre bout un pavillon yougoslave. Les carabinieri et les gendarmes d’en face font les cent pas jusqu’au milieu du pont que coupe en deux une ligne au pinceau, et se rencontrent nez à nez avec un air de ne pas se voir. Nos papiers tamponnés de toutes les couleurs, nous sommes autorisés à passer la frontière. Marie-Jeanne, qui tient le volant, s’arrête juste devant le poste de la douane yougoslave... C’est le moment!... Je l’entends qui répète à mi-voix : — Imaté li chto da pocajété?... Imaté li chto... Voici le douanier, très élégant, vareuse impeccable, képi verni, gants blancs. Il s’incline devant Marie-