DE GOSTIVAR AU LAC D’OKHRID 173 C’est assurément l’une des plus belles promenades du monde. La puissante beauté du lac d’Okhrid ne vient pas seulement du cercle de hautes montagnes qui plongent leur reflet dans l’eau d’un bleu pers satiné, mais surtout de l’absence presque totale d’humanité, ce qui lui donne une grandeur primitive, celle qu’il n’a cessé d’avoir depuis l’instant où les choses de la terre se sont mises en ordre sous la loi du Seigneur. Il n’y a là, sur soixante-dix kilomètres de rive, que deux villages de pêcheurs. Avec leurs masures de bois, leurs séchoirs à filets faits de branches brutes, et surtout leurs barques, les plus grossières que j’aie vues, de planches à peine équarries, mal clouées et mal jointes, ils sont pareils aux premiers établissements lacustres. Chez nous, ce paysage de Genèse serait anéanti par des villas de parvenus et des hôtels insolents. Ici, rien n’interrompt la ligne grandiose de la rive. Son âme des premiers jours demeure intacte. Cela ne ressemble à rien d’autre. Ce n’est pas un lac italien. C’est plus sévère et moins humain. Ce n’est pas non plus le Tatra tchécoslovaque, car la lumière orientale épanouit ce lac bordé de sommets de quinze cents mètres. L’esprit d’Okhrid, à la fois mâle et séduisant, je ne l’ai rencontré nulle part. Le monastère de Svéti Naoum est tout au fond de cette solitude, sur un saillant de roche qui plonge à pic dans les eaux transparentes. On voit sa tour neuve au flanc des vieilles bâtisses, derrière un rideau de peupliers pareils à des cyprès. Le cercle des communs enferme une grande esplanade herbue, en pente douce. Quelques vieux acacias font une ombre claire devant le monastère proprement dit, un trapèze de constructions à plusieurs étages qui surplombe le lac. La petite église est dans une grande cour, au milieu des bâtiments, très basse, bâtie de briques qui forment des géométries