DE BITOLI A SKOPLIÉ 193 bras écartés par l’épaisseur des étoffes. Deux femmes la soutiennent, pendant que la troisième lui passe d’épais bas de laine grise qui montent jusqu’aux genoux; et par là-dessus d’autres bas de laine bariolée, fleurs et motifs géométriques, qui s’arrêtent au-dessus du mollet; et par là-dessus, pour finir, des opanké en peau de vache, le poil sous la semelle, nouées par des cordons de cuir. Et voilà tout pour le costume d’été... En hiver on y ajoute un grand manteau de peau de mouton, la laine en dedans. Les trois femmes contemplent leur œuvre en hochant la tête. — C’est dommage, reprend l’aînée, il manque les faux cheveux... Elles sont toutes trois habillées comme Marie-Jeanne, mais avec les faux cheveux, une épaisse crinière terminée par un effilé de soie. Elles portent tout ça avec autant d’aisance qu’un peignoir de linon. — Je meurs! me souffle Marie-Jeanne. Ça ne lui va pas du tout. Il faut, pour porter ces vêtements splendides et écrasants, des filles de cette race, des filles au large visage, aux épaules solides, aux bras musclés, aux mains fortes, aux chevilles courtes, comme celles que nous avons vues l’autre jour travailler dans les champs sous dix à douze kilos d’étoffes, de broderies et de bijoux. Quand elles me rendent ma petite fille de France, avec sa robe de coton sur son corps frais, les trois femmes m’apparaissent comme des cathédrales de marbre et d’or près d’une petite église blanchie à la chaux; magnifiques, en vérité, d’une opulence barbare qui remplit de joie mon cœur de poète, mais impraticables. L'ITINÉRAIRE DE YOUGOSLAVIE 13