LA SLOVÉNIE
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  En attendant le bandit, les paysans d’ici nous font un beau salut de leur chapeau vert et un sourire cordial. Villages tranquilles, maisons de bois ornées de découpures, carrefours de dévotion. Les gens de la montagne, ici comme chez nous, sont toujours attachés à leur foi.
  Nous remontons la Save jusqu’à Radovlitza où noius prenons le petit chemin solide qui mène au lac de Bled. Il est célèbre en Yougoslavie. Le roi vient y passer l’été et entraîne à sa suite les gens de la Cour, le monde officiel. Séjour d’agrément, parc, châteaux, villas. Cela pourrait être ailleurs. Assis près de la rive, sur un gazon bien élevé, nous pensons à la solitude grandiose du lac d’Okhrid. Celui de Bled, comme toute la province d’ailleurs, c’est un peu l’Europe centrale. Nous aurons moins de peine à franchir la frontière. Elle nous semble déjà derrière nous. On dirait que le pays prend à cœur de se détacher de nous sans secousses.
  Mais après Trzitch la route yougoslave, qui nous en a tant fait voir, tient à nous présenter sa propre apothéose : une côte effarante, vingt-six degrés, la plus forte que nous ayons rencontrée dans le pays. Nous nous disputons à pile ou face l’honneur de l’entreprendre, et Marie-Jeanne l’emporte. Elle se lance dans cette escalade avec un petit visage volontaire. Ce n’est pas terrible d’ailleurs. La mécanique nous est fidèle. Nous faisons corps avec elle, nous ne voyons rien du paysage qui s’aplanit derrière nous. J’ai l’impression d’être couché sur un divan, tant la pente me renverse en arrière.
  Près du col nous trouvons la neige, une couche de quelques centimètres tassée par le gel. Un grand diable de Croate est seul au poste-frontière, une cabane de bois à côté d’une barrière mobile : image de cette simplicité primitive qui est le sentiment du pays.
  Et nous voici, comme toujours, à ne pouvoir nous décider à franchir la frontière. Les formalités ne sont pas