234 L’ITINÉRAIRE DE YOUGOSLAVIE Dès notre arrêt dans Vichégrad, le type-qui-parle-français se présente spontanément à la portière. Je ne sais pas ce qui les renseigne sur notre nationalité, certainement pas la voiture, car ils n’en voient pas assez pour reconnaître la marque Citroën ni l’insigne F peint sur l’aile. Quand je suis seul, ils me prennent pour un Russe, mais quand ils ont vu Marie-Jeanne ils ne se trompent jamais. Et aussitôt le type-qui-parle-français, prévenu par un detchko ou par une obscure télépathie, vient nous dire quelque chose que nous ne comprenons pas. Car, bien entendu, le type-qui-parle-français n’en connaît pas un mot. Il a fait la guerre avec les nôtres, ou bien il a travaillé en France, ou bien il a vécu à Constantinople, mais il a oublié depuis longtemps le peu de français qu’il connaissait. Seulement il s’imagine le connaître encore, et c’est ici que le drame commence. Donc, le type-qui-parle-français m’appelle : miché, ce qui ne serait guère flatteur si cela ne voulait dire : monsieur. Il bégaie ensuite un tas de syllabes confuses où il n’y a même pas un son qui se rapproche du français. On s’en voudrait d’enlever ses illusions à ce brave garçon qui fait un gros effort et qui ne demande qu’à vous rendre service, mais tout de même on finit par lui dire, à voix basse, afin de ne pas détruire son prestige sur les autres : — Govorité serbski, molim. (Parlez serbe, je vous prie.) Comme bien on le pense, cela n’arrange rien, car pour tous ceux qui l’entourent il est le type-qui-parle-français et il n’a donc aucune raison de parler serbe à des Français. Il continue par conséquent à nous accabler de son charabia, avec la meilleure foi du monde et la plus grande gentillesse. Oui-comme-chéval, que nous avons rencontré à Petch, était du genre type-qui-parle