78 L’ITINÉRAIRE DE YOUGOSLAVIE Elle a été libre pendant des siècles, relativement libre, car elle payait un tribut à la Turquie, et l’on voit encore, sur le toit de la Douane, un turban de pierre qui symbolise cette espèce de suzeraineté. Les armées de l’Eni-pire absorbèrent la vieille république. Le fort qui la domine, sur la crête du Sergi, fut bâti par les soldats de Napoléon. Depuis, elle a suivi le destin de la Dal-matie. Mais elle n’a jamais admis cette confusion. Aux assemblées des provinces, pendant la période autrichienne, les comtes Gozze et Caboga, qui représentaient Raguse, refusaient de « se compromettre » avec les Dalmates, questi barbari, me disait Gozze. Quand on vient par la route de l’ouest, ce qui est aussi le chemin de la gare et du port, on traverse le faubourg de Pillé dont les maisons blanches et les jardins s’étagent sur les pentes du Sergi, et l’on arrive sur une petite place encombrée de voitures, qui n’est rien du tout et qui est un cosmos international. Elle est devant l’entrée de la ville, un haut rempart couronné de tours, flanqué d’échauguettes, tapissé de lierre et de bougainvillées, troué d’une seule porte en plein cintre dont le pont franchit un fossé débordant de verdure. Du côté de la mer, cette place forme une esplanade ombragée par des platanes et des mûriers, promenade des crépuscules, devant les tables des cafés. C’est, à l’heure de l’apéritif, le rendez-vous du monde cosmopolite qui peuple la ville pendant l’été, curieuse migration toujours renouvelée et d’une déconcertante variété, depuis les membres du Pen^Club jusqu’à des congrès de pédérastes. On y rencontre les plus grands noms, les plus belles aventurières, des gens d’esprit et des escrocs, cette faune passionnante des carrefours de la paresse européenne, comme Monte-Carlo et Capri.