202 L’ITINÉRAIRE DE YOUGOSLAVIE Marie-Jeanne fait des miracles. Avec le pauvre ilote elle part en expédition dans les fermes du voisinage. A l’heure du dîner, nous sommes tous les trois — quatre avec le Puma — installés dans la galerie, devant une omelette mirifique, du jambon fumé, des petits gâteaux de l’an dernier et trois bouteilles de vin, toutes les richesses de la contrée. L’otatz fait honneur aux plats et aux bouteilles, sans cesser de bavarder, avec l’ardeur d’un homme qui n’a plus ouvert la bouche depuis six semaines, faute de partenaire. L’église, à cette heure du couchant, a la transparence d’un coquillage. Elle est d’un calcaire jaunâtre qui se dore sous le soleil. Les voussures des fenêtres, les corniches et les tambours des coupoles sont d’un rose ardent, faits de ces longues briques qu’on appelle espagnoles. Au milieu de la prairie semée de petites fleurs elle semble un reliquaire de nacre posé sur un tapis persan. Nous passons la nuit dans la voiture, sous les vieux noyers qui entourent l’abside, dans les plis blancs de la moustiquaire, les portes grandes ouvertes, respirant l’odeur fraîche de la prairie. A mon réveil, un rayon de soleil horizontal, comme le fuseau d’un projecteur, allume la croix de la coupole centrale. Le temps et l’incurie ont ravagé les fresques de l’intérieur. Il reste pourtant de magnifiques morceaux, comme le roi Miloutine tenant dans ses mains l’église qu’il a fondée, un saint Elie à l’entrée de sa caverne, et, surtout, dans le Saint des Saints qui n’est accessible qu’aux hommes, un Jean-Baptiste d’un ascétisme violent, longue figure olivâtre sous une perruque de rouquin, visage buriné, l’œil en coin, la bouche amère, une barbe inquiète mordant l’étoffe de la robe. Nous quittons le couvent à midi. Le Père Siméon fait ses adieux au Puma qui pour toutes politesses lui envoie