258 L’ITINÉRAIRE DE YOUGOSLAVIE dans ces minutes où l’on touche à l’accomplissement d’un sacrifice. Je les vois plutôt silencieux ce soir-là, perdus dans cette rêverie des hommes qui vont payer de leur vie la joie d’une vengeance. Le plan d’Ilitch était bien combiné. François-Ferdi-nand devait passer à travers un réseau de meurtres. Mehmedbachitch armé d’une bombe et d’un revolver, Tchabrinovitch armé d’une seule bombe, Princip d’une bombe et d’un revolver, occuperont dans l’ordre où je les ai nommés le quai de la Miliatzka que doit suivre le cortège; Grabège sera devant l’Hôtel de Ville où l’archiduc doit être reçu par le Conseil; Popovitch se placera devant le musée; Tchoubrilovitch en face du lycée. Il n’est pas une étape du cortège qui ne soit marquée d’un signe de mort. A dix heures du matin, le 28 juin 1914, vingt et un coups de canon annoncent la joyeuse entrée de Fran-çois-Ferdinand dans « sa bonne ville de Sarajevo ». A la gare, il est monté, avec sa femme et le général Potiorek, dans une grande torpédo — cette voiture de malheur qui a tué tous ses propriétaires successifs — et par la Riseta Dolnja Ulitza et les quais, le cortège s’achemine vers l’Hôtel de Ville, à l’autre bout de la cité. On aurait pu prendre la rue François-Joseph — l’actuelle rue du Roi Pierre — jusqu’au pont qui porte aujourd’hui le nom de Princip, mais on préférait avec raison un espace découvert. Les voitures suivent donc la rive droite de la Miliatzka. C’est un torrent discipliné par la main des hommes. Il coule entre deux murs droits, sur un lit de galets nivelés et cimentés, en formant tous les cinquante mètres une petite cascade rectiligne de trente