LA TSERNAGORA — DE KOTOR A PETCH 99 face se nivèlent comme le reste. La mer du large apparaît de l’autre côté, pendant que l’on gravit un à un les quelque soixante-dix échelons de la route. Tous les plans du paysage glissent lentement du centre vers la périphérie. Dans le gris et le noir de la pierre, le golfe brille d’une couleur indicible. On laisse derrière soi la route blanche, tordue comme une lasagne sur le flanc abrupt. C’est la monotonie des hauts cols, chaque degré de même longueur, chaque virage de même profil, la même coupure tous les dix mètres dans le parapet de pierre. Quand nous y sommes passés la première fois, un régiment, sans doute, s’était amusé à déposer sur ce parapet une crotte entre chaque intervalle. Que celui qui n’a jamais été soldat ménage son indignation. C’est un métier où on ne rigole pas tous les jours. Ces sentinelles régulièrement espacées représentaient, après tout, la forme la moins dangereuse de l’activité militaire. Dans la courbe de Kerstatch, à l’endroit où le garde-fou est remplacé par une balustrade en fer, on découvre, sur une pente vertigineuse ravinée par les pluies, les restes de l’ancien chemin muletier qui menait de Kotor à Cettigné, avant la construction de la route par les Autrichiens. C’est un effroyable casse-cou. Un faux pas, et l’on déboule jusqu’à la mer. C’est pourtant par cet invraisemblable chemin que des soldats de Pierre II transportèrent sur leurs épaules, depuis Kotor jusqu’au palais de Cettigné, un énorme billard de marque française, pour les délassements du prince. Il est probable qu’ils en avaient fait une gageure car il était beaucoup plus simple de le faire monter par Riéka. A Niégouch on abandonne la Dalmatie et on entre dans la Tsernagora. L’écriture cyrillique apparaît dans les indications de la route. C’est un alphabet qui ressemble au russe et qui est en usage dans toutes les pro-