TROOHIR, SPLIT ET KHVAR 63 versées de bouts d’arcades, dominées par des falaises de maçonnerie, sans plan ni direction. La vie y est grouillante et bruyante, un torrent de piétons roulant sans cesse d’une porte à l’autre. Ce ne sont que boutiques, restaurants, barbiers, petits bars, magasins de pêche et de corderie. Les souterrains du palais impérial sont devenus des chais pour le vin, de celliers pour l’huile, des entrepôts de poisson fumé. Les remugles de la mangeaille et de la mer remplissent le sous-sol voûté où l’on enfermait les rapines de César. Ainsi le vieux palais romain s’est animé de toute la jeune vie qui s’est emparée de ses pierres. Malheureusement, les archéologues sont venus. Ils se sont attaqués au péristyle et au baptistère, et il est probable qu’ils n’en resteront pas là. Je les soupçonne d’avoir mis le feu à un couvent qui enfermait le mausolée et bouchait une arcade de la place. Ils ont profité de cet incendie pour démolir le couvent et ont ouvert de ce côté un petit cimetière de colonnes mutilées où leur incurable sottise doit se pâmer d’allégresse. Dans cette vieille ville pleine comme une grenade, cela fait un vide affreux, irréparable. Leur manie de « dégagement » leur a fait abattre, derrière le baptistère, une ou deux maisons qu’ils ont remplacées par un grand mur nu, peint en blanc, sans une fenêtre, sans une porte, dans un ensemble où pas un mètre carré de façade n’est perdu. J’ai déclaré la guerre à cette espèce d’archéologues qui n’hésite pas à détruire des maisons vivantes pour exhumer des pierres mortes. Il n’est pas d’individus humains que je méprise comme ces déterreurs de cadavres, ces avorteurs de la vie amoureuse et féconde. Qu’on laisse faire ceux de Split, qu’on leur donne de l’argent! Ils feront de l’admirable, de la toujours jeune Stari Grad une ruine toute neuve, le véritable palais de Dioclétien !