58 L’ITINÉRAIRE DE YOUGOSLAVIE Zara et que Split. Son isolement, sa déchéance commerciale, lui ont épargné les « embellissements » modernes. Comme elle remplit très exactement l’îlot qui la supporte, ses faubourgs sont relégués sur la terre ferme et sur la rive de Tchiovo. Entre le rempart et la mer, il n’y a qu’un large quai tout blanc qui l’entoure de sa clarté. Celui du sud, avec ses vieilles maisons adossées à la haute muraille, ses campaniles pointus et les tours crénelées de sa forteresse, sous un ciel d’aquarelle, apparaît comme une vue d’optique d’un autre siècle, et l’on s’étonne de ne pas y retrouver les diadèmes et les dalmatiques brodées que portaient les femmes de ce temps-là. Il faut le voir d’en face, au bout du pont de pierre, à l’entrée de ce faubourg de pêche et de carénage où j’ai vécu de si belles heures maritimes, dans le tapage des herminettes et l’odeur du goudron. Ce jour de juin, le quai de la cité est couvert de toiles blanches, étalées sur le sol et jonchées de petites fleurs pareilles à de la camomille, que l’on fait sécher au soleil. L’air est rempli d’un parfum de tisane. La ville elle-même n’a rien perdu de son pittoresque vénitien. Une seule place, l’une des plus charmantes que je connaisse, non seulement par l’architecture de sa cathédrale, de sa tour d’horloge, de sa tribune et de ses maisons qui ressemblent aux demeures ouvragées du Grand Canal, mais surtout par sa couleur d’un orangé brûlé, celle, d’ailleurs, de toutes les pierres dont la ville est bâtie. C’est un dédale de ruelles, de portiques, de cours à escaliers, de placettes traversées d’arcades et écrasées par des balcons énormes; des coulées de soleil derrière des voûtes noires; de hauts murs nus, troués de fenêtres damasquinées; de grandes portes ornementales, le linteau chargé d’écus, de tenants et d’archanges; d’invrai-