LE DANUBE 229 ceux de la Serbie du Sud, bien qu’il montre une extraordinaire variété de tabliers avant et arrière et de broderies de corsage en perles et en soie. Mais j’ai trouvé là les plus belles poteries de la Yougoslavie, dessins, coloris, imprévu des formes. Dans les autres provinces du pays, les poteries sont assez banales, sans doute parce qu’on y travaille plutôt le cuivre et le bois. La Serbie, au contraire, a des poteries aussi belles que celles de la Provence, aussi originales que celles du Portugal — je mets hors pair les poteries noir et argent du Traz os Montes. Presque tout ce qu’on en vend sur le marché de Kla-dovo est d’une qualité exceptionnelle. Mais il y a en outre, dans un petit village des environs qui s’appelle Kostol, un potier qui fait tant de merveilles que j’en ai trimbalé, pour mon purgatoire, depuis la frontière roumaine jusqu’à Paris. Ce n’est pas un « artiste », comme nous entendons ce mot, c’est quelque chose de beaucoup mieux : c’est un artisan qui aime son métier. Comme je ne crois pas beaucoup à la « littérature » mais comme j’ai la passion de mon métier, cela me paraît un destin suffisant. Il ne fait pas ses poteries pour « créer des œuvres d’art », ce qui doit être bien embêtant, mais pour mettre dedans de l’eau, du vin et du raki. Et comme le vin, le raki, et même l’eau, veulent être respectés, il leur offre de belles formes et orne celles-ci de belles couleurs. Il est aussi un paysan serbe, et il fait des pots pour les paysans serbes. Alors il ne sait plus très bien qui a inventé les formes et les couleurs de ses poteries, si c’est lui-même ou les hommes de sa race, et tout naturellement il signe ses pots non pas de son nom mais du nom de son village : Kostol. Et c’est très juste, car dans le monde de la création on doit tout à son pays, et si