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L’ITINÉRAIRE DE YOUGOSLAVIE
  Elle est ceinte de murs et de tours de tous côtés, mais, c’est étrange, ses murs ne l’enferment pas. Elle est aussi épanouie qu’une coupe ou une corbeille. Ses murailles ont l’air de n’être là que pour donner plus de densité aux formes et aux matières qui la composent.
  Elle est bâtie entièrement, à l’exclusion de la moindre façade, à l’exclusion du moindre mur, de la même pierre calcaire qui prend, à l’air et au soleil, la blondeur qu’a la peau des jeunes filles qui se promènent dans les rues. Façades et terrain, car toute la ville est pavée de larges dalles semblables aux pierres des édifices, en sorte que l’architecture est à la fois plane et verticale, se continue d’un côté à l’autre des places. C’est le miracle de cette ville qu’une pareille unité de forme et de couleur ne soit brisée par rien, car les toits de vieilles tuiles rondes, patinées par le lichen, ont pris un hâle doré, d’une suavité presque charnelle.
  Elle ne tient à la terre qu’au nord, sur la pente du mont Sergi que des ruelles à escalier gravissent en ligne droite, et par la moitié des remparts de l’occident. Tout le reste est encerclé par la mer, glauque, verte, lapis ou aubergine, selon le ciel et l’heure. La ville elle-même se pare de toutes les lumières, rose au matin, presque blanche à midi, de la couleur, au coucher, de la pêche de vigne, et toute verte au crépuscule. Quand je la contemple du fort Saint-Laurent, à l’heure où le soleil décline sur le promontoire de Lapad, je la vois s’enfoncer, avec toutes ses demeures, dans l’ombre des remparts, tandis que la couronne murale garde à son faîte une lueur émeraude.
  Vénitienne, évidemment, bien que toujours rivale de Venise. Mais l’influence de cette dernière était si grande que même une ville hostile imitait son architecture. Seulement, plus d’unité que Venise, moins de richesses entassées, rien du disparate que les trafiquants des