DE SKOPLIÉ A STOUDÉNITZA 203 un coup de griffe. Et c’est un long discours de l’otatz au chat, un discours de morale qui aura autant d’effet que les autres discours de morale : — Comment? tu es méchant? tu griffes le pauvre monde? Voyons, chat méchant... On te promène depuis Paris, à travers l’Europe, et tu es méchant ! On a équipé pour toi tout seul une belle voiture où tu as ton lit, tes couvertures et ton oreiller, et tu es méchant ! On te donne chaque jour une pâtée dont se régalerait un paysan de chez nous, et tu es méchant ! Tu as rencontré des bons moines qui t’ont fait manger des truites et des pas-tremké, et tu es méchant !... Eh bien, chat méchant, le plus méchant des chats, tu peux t’en aller sans ma bénédiction ! Il rit à travers sa barbe noire et ajoute en clignant de l’œil : —• Je dis ça pour lui faire peur. L’autre, les moustaches hérissées et la queue virgulante, n’attend que le moment de recommencer. ❖ * * Une bonne route toute neuve mène du monastère à Prichtina1, petite ville dont la vieille turquerie sympathique ne fera pas long feu. On est en train de « l’embel-iir » selon les derniers progrès de 1’ « urbanisme » yougoslave et de l’hygiène internationale. Dans vingt-cinq ans, l’Europe sera nivelée sous une épaisse couche de béton. Cette vieille brocanteuse de Prichtina, qui nous a vendu de merveilleuses broderies, verra démolir sa boutique de planches et mourir en même temps l’art des brodeuses, car tout cela se tient. 1. Marché le mardi.