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L’ITINÉRAIRE DE YOUGOSLAVIE
remblai ou creuser une tranchée. Elles chevauchent les ondulations des collines, rampent sur les contreforts, accompagnent dans les vallées toutes les sinuosités des torrents. Elles ne tracent pas une ligne charbonneuse à travers des terrains multicolores. Elles sont blanches comme le calcaire qu’elles traversent, ou roses comme le granit, ou blondes comme l’argile des champs, pierreuses dans un pays de pierres, poussiéreuses à travers les plaines, toujours à l’image de la nature qu’elles parcourent. Pour avoir trop vécu dans des pays d’auto-strades, nous ne savons plus rien de la route que nous brûlons. Celles d’ici nous font penser à elles.
  Avec leurs ponts de bois, leurs cassis redoutables, leurs virages à angle aigu, leurs côtes vertigineuses —■ jusqu’à vingt-six degrés — leur étroitesse et leur audace, elles vous obligent en quelque sorte à une allure de piéton et vous révèlent pas à pas le paysage, les hommes et leurs demeures. Si, comme je l’ai toujours pensé, voyager c’est savoir s’arrêter, nulle autre route d’Europe n’est mieux faite pour le vrai voyage.
  J’ai dit que, sur les routes d’Espagne, on rencontrait de tout, sauf un piéton. C’est le contraire en Yougoslavie. Il y en a partout, même dans les régions les plus désertes. Qu’il n’y ait ni village, ni ferme pendant des lieues, cela n’interrompt pas l’éternelle venue de ces gens poussés par un instinct de nomades, rarement isolés, le plus souvent en caravanes, non pas en groupes compacts, mais répandus sur le chemin, les hommes en avant, les femmes derrière, la torba dans le dos, appuyées sur un bâton ou donnant la main à un enfant.
  Ce sont d’infatigables marcheurs. Cinquante kilomètres, ce n’est pour eux qu’une promenade. S’ils vous