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L’ITINÉRAIRE DE YOUGOSLAVIE
  Le dimanche, la rue est fleurie de petites bonnes femmes adorables, des corolles renversées, un monde de jupes à gros plis et volants de coton qui s’évasent largement autour des chevilles. Elles ont un grand tablier de soie et de dentelle, un corsage à basques qui fait gonfler les tétons, un châle bariolé, des bijoux criards, la tête enveloppée d’un fichu de couleur vive. Tout cela est propre, pimpant, empesé. Ce sont les totitza, les petites bonnes de Belgrade, qui viennent de la Banovine se faire une dot en travaillant chez les bourgeois. Il y en a beaucoup de jolies, clairs yeux mauves, teint mat et dents saines. Elles forment au coin des rues des groupes de rire et de bavardage. Elles sont vives, délurées, promptes à la repartie. Comme je me promène avec Marie-Jeanne, je dis à l’une d’elles en passant :
  —	Que tu es jolie, draga !
  Elle hausse les épaules et me répond :
  —	Oui, je suis jolie ! mais ta femme est encore plus jolie que moi, fripon !
  —	Ça t’apprendra ! fait Marie-Jeanne en éclatant de rire.
  Quelques cafés ont des terrasses surpeuplées, comme celles de Montparnasse. Elles sont très bruyantes : le ton de la conversation, même chez les femmes, confine à l’algarade, et par là-dessus se déverse la musique passionnée des tziganes. Les Belgradois ont surnommé l’un de ces cafés « La Synagogue », car il est fréquenté surtout par les Juifs.
  Il y a de grands restaurants à la manière allemande, où l’on mange sur deux hectares de superficie, et de petits restaurants à la manière de Paris, comme le Tri Chechira (Les trois Chapeaux) où se réunissaient jadis les conjurés d’Obrénovitch, et qui est aujourd’hui le rendez-vous des journalistes. La maison qu’il occupe est du type vieux Belgrade, c’est-à-dire avant-guerre, sans