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L’ITINÉRAIRE DE YOUGOSLAVIE
chanter aux oreilles des femmes leurs violons aux mélodies sentimentales. L'Addio mare dalmate sanglote dans le jeune matin. Nous reprenons en chœur le refrain qui est le plus poignant des adieux.
  Six heures. Il faut partir. Le moteur commence lui aussi sa petite chanson. C’est elle qui nous précédera maintenant sur les routes nouvelles.
  —	Do vidjénia !
  —	Au revoir!
  La route vers Valiévo traverse une campagne française. Elle me rappelle ces mots d’un paysan serbe, à Radouyévatz :
  —	J’aime bien la France, gospodiné. J’y ai passé trois mois de convalescence pendant la guerre. C’est un pays tout comme le nôtre : il y a aussi, comme chez nous, du blé et des pommes.
  La montagne reparaît entre Valiévo et Oujitzé (Uzice), la chaîne boisée de la Tsernakosa. Jusqu’à Sarajevo nous ne connaîtrons plus que les hauts sommets et les profondes vallées, dans des forêts centenaires, hêtres, sapins, chênes et châtaigniers. C’est la rude barrière qui, pendant près de cent ans après Kossovo, arrêtera les Turcs.
  Un orage terrible nous fait faire escale à Oujitzé. Promenade désabusée dans cette petite ville où rien n’arrête le regard. Architecture de garde-barrière. Pas une trace d’évasion vers la beauté. La population tout entière s’habille chez un tailleur pauvre. Boutiques d’uni-prix. Les fontaines sont des bornes de fonte avec un robinet de cuivre, et les femmes viennent chercher de l’eau à la fontaine dans des bidons à essence.
  Une route parfaite escalade le Zlatibor à travers un grandiose paysage de forêts et de pâturages. Les maisons bosniaques, tout en bois, avec un toit d’essentes qui occupe les deux tiers de la hauteur, composent déjà