138 L’ITINÉRAIRE DE YOUGOSLAVIE je veille sur le sommeil de Marie-Jeanne. Le petit bruit de la pluie sur le toit de la voiture crée dans notre chambre roulante une intimité délicieuse. Je pense à ce brave bougre qui ne nous est rien et qui dort sur le gazon comme un chien de garde. A l’aube, je commençais à m’assoupir lorsque je suis réveillé par de grands coups frappés sur la carrosserie. Je saute sur mon revolver. — Il ne pleut plus ! vous pouvez repartir ! C’est le garçon qui nous appelle. Nous plions bagage dans le petit matin glacé. Pour nous réchauffer nous buvons de grands verres de raki. Cela fait de l’amitié tout de suite, et pas seulement le raki... Je l’embrasse sur les deux joues, avec des tapes dans le dos : — Sbogôm ! Il nous suit jusqu’à la route. C’est vrai qu’il ne pleut plus mais la boue est toujours la même. Nous renonçons à grimper la côte et nous rebroussons chemin en dérapant tous les dix mètres. —• Sbogôm ! Il est planté sur le talus, dans son costume d’un autre siècle. Figure aussi d’un autre siècle et d’une race magnanime. Marie-Jeanne me caresse la main tout doucement, et nous ne disons pas un mot. D’ailleurs, nous ne pourrions pas... Ourochévatz revoit passer la voiture maquillée en panthère. Et nous avons la chance de trouver au delà de Gnjilané une route excellente, un vrai billard — un billard yougoslave — où nous nous élançons à soixante à l’heure! Mais ça ne dure pas, car les ponts de bois et les cassis nous rendent plus sages. Hauts plateaux de Koumanovo1. C’est ici qu’en 1912 l’armée serbe a renversé la puissance ottomane en Eu- 1. Marché le jeudi.