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L’ITINÉRAIRE DE YOUGOSLAVIE
du bois. Le silence et le parfum lourd des encens se condensent sous les plafonds de marqueterie.
  On est encore imprégné de cette atmosphère chrétienne qu’on entre déjà dans les mosquées voisines, celle du Sultan Mourad, celle d’Issa-Beg ou celle de Yaya-Pacha. La première est un salon de réception dans le goût du Directoire, avec un lustre de cristaux qui résorbe en lui-même une multitude d’arcs-en-ciel. Issa-Beg, qui fit construire la seconde, une grande mosquée à deux coupoles dont l’intérieur a la teinte rousse des cuirs de Cordoue, était un Serbe converti à l’Islam après Kos-sovo. Comme Miguel de Manara à la Caridad de Séville, il s’est fait enterrer sous le porche « pour y être piétiné et méprisé de tous dans la mort ». Le Serbe devenu musulman, le Maure andalou devenu catholique, se retrouvent dans la même orgueilleuse humilité.
  Pour la troisième mosquée, celle de Yaya-Pacha, je ne puis rien dire de l’intérieur. Chaque fois que je suis monté jusque-là, je me suis arrêté dans son jardin. C’est un bois d’acacias si serrés, d’un feuillage si épais, qu’à l’heure du maghrit il y fait presque nuit. Dans ce crépuscule végétal, sous le kiosque des ablutions, une grande fontaine répand avec abondance ses eaux sonores.
  Le mardi matin, les vastes terrains poussiéreux, à l’est de la vieille ville, se remplissent d’une humanité somptueuse. Ce sont les paysans des environs qui viennent au marché. Rien ne peut exprimer la magnificence de cette foule, si ce n’est peut-être l’image d’un tournoi de paladins.
  Les costumes orthodoxes de la Tsernagora de Sko-