DE BELGRADE A SARAJEVO 235 français. Seulement celui-là consentait à parler serbe. Le type-qui-parle-français nous guide à travers la seule rue de Vichégrad, petite ville heureuse qui égraine son chapelet de maisons bosniaques au bord de la Drina et jette, par-dessus, un vieux pont turc à stèle de marbre. Peu de costumes. Le dzar, qui n’est pas beau, enveloppe toutes les femmes musulmanes. Mais on retrouve les fillettes en grands pantalons de mousseline, et sur leurs cheveux blonds le petit voile transparent bordé de fleurettes de soie. Les fillettes sont blondes parce qu’elles sont Slaves. La Bosnie, comme l’Hertzégovine, est entièrement slave, les musulmans comme les autres. Ces derniers se sont tournés vers l’Islam de leur plein gré. Ce sont les anciens Bogoumiles, schismatiques chrétiens analogues aux Albigeois ou aux Patarins. Persécutés pendant deux siècles par les Hongrois catholiques, ils ont appelé, vers 1460, les Turcs à leur secours et se sont convertis en masse à l’islamisme. En 1875, le Congrès de Berlin enlevait à la Turquie la Bosnie et l’Hertzégovine et donnait à l’Autriche mandat sur ces deux provinces. Deux cents ans de Turquie les ont marquées d’une très forte empreinte; quarante ans d’occupation autrichienne n’en ont rien effacé. La grande faute de l’Autriche a été de se les annexer purement et simplement, en 1908. A Sarajevo, capitale de la Bosnie, cette décision de l’empire fut annoncée par une affiche qui fut collée à l’endroit même, à l’endroit précis où, six ans plus tard, l’héritier d’Autriche tombait sous les balles de Princip, un Bosniaque. J’ai pu me procurer à Sarajevo une photographie, prise en 1908, où l’on voit cette affiche sur le mur même de la pharmacie devant laquelle François-Ferdinand fut abattu. Cette annexion de la Bosnie et de l’Hertzégovine est évidemment la cause profonde de la grande guerre. En