I.A HO OTE
LE PAYS
  Il y a une manière de conduire sur les mauvaises routes. Il y faut une espèce de fatalisme, de la tranquillité et de la souplesse. Si l’on se croit toujours sur les routes de France ou d’Italie, on est perdu. Les amis qui sont venus me rejoindre à Raguse ont cassé leurs ressorts, déchiré leurs pneus et crevé leur boîte de vitesse. Ce n’est pas la faute de la route, mais celle de leur impatience. J’ai fait dans le pays dix mille kilomètres, et il ne m’est jamais rien arrivé. Je suis revenu en France avec une voiture et des pneus intacts.
  Si j’étais sportsman ou voyageur de commerce, je me plaindrais de ces routes difficiles, mais je suis voyageur de plaisir et sportsman ailleurs qu’en auto. Je sais m’astreindre à rouler à trente à l’heure, Ce qui est, en Yougoslavie, une bonne moyenne. Il est vrai que j’ai poussé quelquefois jusqu’à soixante, et même soixante-dix! mais il est vrai aussi que j’ai failli me tuer, ce qui ne serait rien si Marie-Jeanne n’avait pas été près de moi.
  J’étonnerai peut-être bien des gens en affirmant que ces routes-là sont une des raisons qui me font aimer la Yougoslavie. Elles sont pénibles, c’est certain, mais elles font corps avec le pays et lui conservent tout son caractère. Elles sont une défensive non seulement contre l’invasion militaire, comme le pensait Pachitch, mais aussi contre l’uniformité de la civilisation. La difficulté du trafic, des rapports entre les villes, a laissé à chacune d’elles une personnalité émouvante. L’extrême diversité des costumes vient sans doute de l’isolement des habitants. Le tourisme commode, tel que la plupart des gens le conçoivent, n’a pas encore gâté cet admirable pays. Le jour où de belles routes asphaltées couvriront cette terre primitive, c’en sera fini de sa grandeur.
  Elles ont la couleur du sol, elles en épousent toutes les formes. On ne les voit presque jamais dominer un