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L’ITINÉRAIRE DE YOUGOSLAVIE
rajevo. Elle a, de plus, l’avantage de vous faire découvrir Raguse du plus beau côté, celui de l’est, ce qui n’est pas à dédaigner lorsqu’il s’agit de cette ville irréelle.
  L’autre est détestable, un chemin muletier qu’on a rendu praticable, si l’on peut dire, aux voitures. Il paraît, d’ailleurs, qu’on est occupé à le refaire. On a raison, car le pays qu’il traverse est d’une inexprimable beauté, cinquante kilomètres dans un désert pathétique, quarante sur une corniche de mer qui n’a de comparable que la route aérienne de Positano à Amalfi.
  Cette route, la seconde, contourne d’abord les paluds de la Néretva, une contrée lacustre où le paysan va travailler la terre en s’embarquant dans son bachot. Ce n’est pas la Bièvre, pourtant, ni les Maremmes. Tout, ici, est rendu grandiose par les proportions des entours et l’absolu de la solitude. Dès qu’on a quitté la côte adriatique, la Yougoslavie montre sa véritable grandeur. Ce n’est jamais un pays pour le touriste aimable et les petites femmes sentimentales. Il vous entre dans le cœur et le cerveau comme un coup de poing, il vous marque à jamais l’intelligence. Aussi n’en est-il pas dont je me souvienne avec plus de passion. Il répond à tout ce qu’il y a en moi de plus âpre et de plus vigoureux. Celui qui ne connaît que les villes dalmates n’a rien vu de ce pays étonnant.
  Au delà du col de Mislina, on retrouve les grandes ondulations arides, ce qu’on pourrait appeler la Dalma-tie Pétrée. Ce qu’on voit de la mer, le fond de la poche du Peliéchatz (Peljecac) — l’ancien Sabioncello — est, en dépit de la lumière, d’une tristesse blafarde, une rive d’Achéron.
  Ce n’est qu’à Slano, autour de sa baie délicieuse, qu’on entre dans cet enchantement méditerranéen qui ne nous quittera plus jusqu’à Kotor. La route passe sous un couvert d’oliviers et de lauriers en fleurs. La mer,